Pour un contrôle des échanges de matières premières par les Etats
Interview parue sur le site du secours catholique
Un rapport parlementaire insiste sur la nécessité de contrôler les acteurs des marchés où les produits agricoles sont devenus des valeurs financières et spéculatives. Une démarche voisine du plaidoyer du Secours Catholique.
La député PS et présidente de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur les Matières premières, Pascale Got, vient de publier avec deux autres députés (UMP), Catherine Vautrin et François Loos, un rapport sur les prix des matières premières, préconisant la constitution de stocks alimentaires à l’échelon des grandes régions du monde.
Interview de Pascale Got
Le système d’information sur les marchés agricoles lancé par le G20 de Cannes est-il la bonne réponse à la hausse vertigineuse et aux fluctuations irrationnelles des produits agricoles ?
Oui, c’est une bonne chose, il y a une grande carence sur la transparence. On ne sait pas qui détient quoi, qui fait des transactions massives sur quoi. Notre rapport en appelle au partage de l’information sur les marchés agricoles entre l’Europe, les pays émergents, les États-Unis. Les fluctuations des marchés ont des impacts humains, il y a des famines. Il est important que le facteur humain l’emporte sur les considérations économiques.
Faut-il empêcher qu’un seul négociant fasse monter le cours mondial du coton en constituant un énorme stock ou que la société financière Morgan Stanley soit le premier propriétaire mondial de stocks pétroliers ?
Bien sûr qu’il faut l’empêcher. Les monopoles font la pluie et le beau temps, déstabilisent les marchés. Nous préconisons dans notre rapport la constitution de stocks alimentaires à l’échelon des grandes régions du monde. Avec une politique de stocks diversifiés, un opérateur ne pourra plus créer une pénurie physique et sa conséquence, l’emballement du marché financier. Par ailleurs, les stocks permettront de compenser en partie les aléas climatiques comme les inondations ou les grands incendies de l’été 2010 en Russie et leur impact sur les cours du blé. Il s’agit pour les États de reprendre le contrôle des échanges des matières premières.
Quelles sont les conséquences de la politique d’indépendance alimentaire menée par la Chine ? Nous observons que la Chine prend son indépendance alimentaire à la source en achetant des terres agricoles dans le monde et en prenant le contrôle de ports leur permettant d’en stocker et d’en importer les produits. Cette politique entraîne aussi un risque de déstabilisation de la production alimentaire mondiale. Même les Chinois doivent être vigilants sur leurs propres capacités alimentaires, faute de quoi ils seront dépendants des fluctuations des matières premières agricoles. Le reste du monde doit en faire autant pour ne pas être tributaire de la politique de yo-yo des spéculateurs.
Précisément, quel est le rôle joué par la spéculation dans la hausse des prix des matières premières agricoles ?
Prenons un exemple : la vente d’un nouveau produit financier, les parts de fonds d’investissement basés sur des stocks physiques de denrées (ETF/exchange traded fund), perturbe la formation des cours des matières premières et les prix des produits dérivés [ndlr : vendus et achetés à terme]. Ces fonds, parfois en situation de monopole, peuvent créer des pénuries en retirant des produits du marché ou même en faisant croire à des catastrophes à venir, le but étant d’augmenter la valeur de leurs certificats d’investissement.
Le fait que les denrées alimentaires soient devenues des valeurs d’investissement au même titre que les actions ou les obligations est-il compatible avec la nécessité de nourrir 7 milliards d’être humains ?
Nous sommes en situation de libre marché. On ne peut pas tout réguler mais les denrées alimentaires sont des matières stratégiques. L’ Europe, pour sa part, se donne les moyens de la transparence sur les marchés agricoles et du contrôle des prises de position dangereuses des opérateurs, de manière à pouvoir sanctionner leurs abus : connaissance des personnes qui pourraient faire des abus de position sur les denrées agricoles, obligation de déclaration des opérations dérivées [options d’achat à terme et échange payant de ces options] avec inscription dans un registre central. La Commission européenne donne cette mission aux nouvelles autorités de régulation financière qu’elle crée.
Propos recueillis par François Tcherkessoff
http://www.secours-catholique.org/actualite/pour-un-controle-des-echanges-de-matieres-premieres-par-les,10436.html